samedi 21 novembre 2009

Arlequin



"... Il venait d'achever un tournage en région parisienne. Photographe de plateau c'était bien mais il voulait toujours être ailleurs que là où il se trouvait.
Il pensait qu'il pouvait faire de son métier la raison de déplacements permanents. Il n'avait pas tort.
C'est Magdalena qui l'appela trois jours à peine après la fin de sa mission photographique. Elle avait obtenu un petit rôle dans le film, une ombre parlante mais avait su de son accent espagnol amener quelque chose à son personnage, ce qui avait séduit le réalisateur.
Valise bouclée, elle avait repris un vol pour l'Amérique du sud, peu certaine de revenir en Europe mais elle avait gardé de son passage en France, le numéro de téléphone du photographe qui savait la faire rire entre les prises, pas trop fort tout de même, on tourne...
Alors il était venu la rejoindre à Mexico, cette ville n'était pas un hasard car la jeune comédienne y avait trouvé un petit contrat pour des photographies de promotion d'un groupe hôtelier. Elle connaissait le photographe Mario mais celui-ci fut pris dans une étrange affaire de mœurs deux jours avant les shoots.
Alors il fallait trouver quelqu'un de disponible rapidement et pas trop regardant sur le salaire.
Magdalena l'accueillit à l'aéroport deux jours après. Il était peu chargé avec son sac marron Adidas bourré de ses appareils photographiques et d'un petit ensemble de toilette dans lequel Eau Sauvage avait pris place.
Quelques affaires de rechange et son passeport complétaient le bagage.
Il y avait urgence car le client attendait les clichés pour lancer la promotion de son hôtel le Camino Real.
Il fallait du glamour, du ciel bleu et du chic international. Magdalena à elle seule résumait cet argument publicitaire et le photographe n'eut pas de mal à trouver l'angle légèrement en contrebas pour dire à la fois la ville, la modernité et la jeunesse audacieuse d'une bourgeoisie de classe internationale .
Dans un ensemble blanc cassé, un jeune mannequin attendait Magdalena et le photographe sur les lieux. Il venait de la ville même et savait trouver dans cette profession l'argent nécessaire à ses études d'anthropologie qu'il menait d'ailleurs avec succès en ayant orienté son travail sur le milieu bien curieux mais passionnant des enseignants en écoles d'art au Mexique et en Amérique latine.
L'affaire fut promptement menée et bras dessus bras dessous les deux modèles avancèrent vers le photographe qui ne tarda pas à trouver l'image idéale.
En les voyant ainsi marchant sur le trottoir devant l'hôtel qui aurait pu penser qu'il s'agissait là d'une réalité composée et non d'une réalité amoureuse, et pourtant...


Magdalena, le photographe et le jeune étudiant allèrent prendre un verre au bar de l'hôtel qui leur offrit cette pose.
Les rires fusaient et les histoires de plateau de cinéma se mêlaient à la pensée de Claude Levi-Strauss, très vite une amitié sincère s'accrocha au trio. Le photographe savait qu'il avait trouvé à Mexico de quoi gagner sa vie mais aussi avec qui la partager. Car il avait bien compris que maintenant celle qu'il avait photographiée quelques minutes avant aux bras d'un inconnu devrait à son tour marcher à ses côtés sur tous les trottoirs du monde.
L'étudiant finit par les quitter, se promettant de les revoir très vite. A n'en pas douter leur métier ne pouvait que les faire se croiser à nouveau.
Magdalena et le photographe sortirent de l'hôtel et se dirigèrent vers la maison de production qui avait commandé le shooting de l'après-midi. La fatigue du décalage horaire commençait à tomber sur les épaules pourtant larges et musculeuses du photographe. Il fallait songer à se reposer.
Alors qu'on le remerciait de sa réponse rapide à la commande et pour la qualité de son travail, le photographe sentait bien ses yeux se fermer et entre l'espace encore ouvert il devinait un sourire large et attendrissant, celui de Magdalena qui attendrait bien demain pour lui faire visiter la ville et lui montrer les lieux de son nouveau contrat pour un produit de beauté.
Elle appela un taxi et d'une voix douce et déterminée demanda au chauffeur, un indien descendu des montagnes pour gagner sa vie ici, d'emmener le photographe à la Zona Rosa. Le photographe y trouva une chambre au confort climatisé.
La douche chaude nettoya complétement la poussière métallique de l'air de Mexico mais ne parvint pas à réveiller le photographe qui tomba dans un sommeil réparateur dès qu'il fut allongé sur le lit trop large pour un homme seul.
Demain, il le savait, sa vie commençait vraiment.
Elle avait enfin commencé là, à Mexico, sur un trottoir en face d'un grand hôtel international, le Caminino Real, dans le quartier de la Galeria Plaza à Mexico..."