mardi 7 avril 2015

Un Corbusier, Le livre




Je viens à l'instant de terminer la lecture du livre de François Chaslin Un Corbusier publié dans la très belle collection Fiction et Cie.
C'est un événement qu'un livre sur Le Corbusier écrit par celui qui avait réussi à me convaincre, tout au long de son émission Métropolitains, que l'architecture se construit aussi avec la voix. Il s'agit surtout, je le pense dans la tiédeur d'une lecture tout juste achevée, d'un livre d'une génération. Ceux qui sont en quelque sorte les enfants en short et chemise à carreaux que l'on voit jouer sur le toit-terrasse de la Cité Radieuse, ceux qui apprendront leurs leçons d'architectes qui ont bâti, contredit, serré les mains de l'architecte Corbu. Tout comme je me souviens de mon trouble apprenant que ledit Le Corbusier avait eu au téléphone le vieux Eiffel, c'est un ouvrage de passage, nécessaire à cette génération devant rétablir une vérité, avant de passer le flambeau à ma génération, flambeau un peu éteint d'une possible idôlatrie, la génération des enfants de mai 68. Je le prends comme ça. Dans mes salles de cours, dans les clubs des jeunes, des photographies aériennes Lapie tapissaient encore les murs avec la France superbe des Trente Glorieuses. Je me souviens de La Cité Radieuse en noir et blanc qui, je crois aussi, était visible dans les photographies des wagons de chemin de fer. Et, dans ma salle de classe de CM 1, le seul autre grand de l'Art était Picasso en poster en couleur. Je suis de ces moments-là. Il y a donc dans ce livre quelque chose que Monsieur Chaslin porte aussi, d'un inconditionnel de l'architecte ayant dû passer outre une forme parfaite d'amour (du moins de fidélité) à un doute sur un architecte autant adulé que récrié de tous côtés et surtout du côté des ignorants vociférant que notre Corbu était fasciste, nazi, de droite, puis communiste enfin, sans doute, homme de pouvoir portant à lui seul l'échec des grands ensembles.
Oui.
Le livre de Monsieur Chaslin dit la chose clairement et c'est sans doute, pour moi, pour nous, la première fois qu'ainsi, dans une multitude d'approches, de détails, de cernes on voit apparaître ce que nous aurions sans doute ne pas voulu voir. La manière de Monsieur Chaslin me fait penser à un Saint Sébastien dont l'envoi des flèches dans la chair du martyre serait la seule manière de dessiner les contours de son corps. Monsieur Chaslin sacrifie son mentor pour mieux, dans la seconde partie du livre intitulée le fada, le ressusciter avec l'histoire croisée de ses cités radieuses. C'est monumental comme écriture et comme procédé, c'est de grandeur conforme à l'homme et à l'architecte. Hésitant entre deux pôles durs, la crapule et, ou, le génie.
Le Corbusier en sort grandi et je le crois, sauvé. Parce que finalement, la petitesse habituelle des attaques sur ses pensées politiques n'est rien à côté de l'œuvre. Et si cela ne permet pas de pardonner, cela permet tout de même de dire la logique et donc l'intelligence qu'il a eu à s'en sortir. Comme si sa familiarité politique (on pourrait presque dire aujourd'hui dire sa bêtise) toujours à la recherche du pouvoir (le verbe) était rachetée par la force sereine, ambitieuse et inventive de ses constructions.
Je suis de ceux qui furent fascinés.
Je suis de ceux qui le restent, et je me refuse d'obscurcir les lumières, les ombres, les forces que j'ai aimées et ressenties au nom des idées politiques finalement médiocres d'un type ayant mal choisi son camp, ayant surtout cherché partout ceux qui lui permettraient de faire, faire son œuvre. Après tout, si je n'ai rien à faire ni à voir avec un groupuscule d'extrême-droite, je n'ai rien à voir non plus avec la grande bourgeoisie pour laquelle il a aussi construit. Ne dois-je plus aimer la Villa Savoye ? J'ai sans doute plus à voir avec les pavillons de Frugès et la collectivité de Marseille, Briey et Rezé. Mon histoire avec Le Corbusier, je me permets aussi Monsieur Chaslin, de la lire au travers de la vôtre, celle de ce livre. Je défendrai toujours Le Corbusier non pas qu'il ait encore besoin qu'on le défende ou que ma parole soit si importante à ce jeu mais simplement parce que je crois qu'il faut juger l'œuvre autant que l'homme. Et qu'il est important de ne jamais oublier que l'on a aimé. Votre livre le permet sans masque, sans fard et surtout sans peur. Enfin, avec votre infinité de détails, des citations, votre travail d'abeille voulant voir au plus près la reine, vous donnez l'occasion de mettre les choses à plat sur la grande table. Et c'est comme cela que l'on est libre d'aimer.
Et puis, vous me faites l'honneur de me nommer et surtout me faites l'honneur d'une complicité d'amateurs d'images et de cartes postales. Vous ne dites rien de néfaste à leur égard, vous les aimez. Aimer les images, y croire au-delà de leur cadre fabriqué, les aimer car elles sont des moyens de connaître et d'apprendre est bien aussi quelque chose que je crois partager avec vous. Je me souviens à l'écoute de vos émissions d'avoir construit mentalement les architectures que vous évoquiez avec vos invités, je me souviens comment les espaces naissaient de la conjugaison des verbes. Je garde précieusement, Monsieur, ces images, je jalouse celles que vous possédez et je vous remercie, une fois encore, au travers de ce livre de nous avoir donné une image de Le Corbusier, une image juste parce que personnelle, Un Corbusier vôtre, que je désire faire mien.

Et, ne me reste qu'à faire mon métier et enseigner Le Corbusier maintenant avec ce nouvel outil sincère.

Un Corbusier
François Chaslin
Fiction et Cie
isbn-978-2-02-123091-8

Et comme c'est ici un lieu de la représentation de cette architecture par la carte postale, en voici une inédite encore sur ce blog. Elle n'a rien de rare, rien de particulier, seulement la force d'un document populaire tentant de donner à voir l'une des œuvres les plus étonnantes. Pourtant, ici, dans cette édition sans nom d'éditeur ni de photographe, c'est bien le cliché parfait de la carte postale qui est présenté.
Un premier plan végétal, grandes branches d'arbres tombant en ombres et en nombre sur la grille de béton, puis au second, un arbre fruitier soutenu par une planche, puis enfin, comme infinie, la Maison Radieuse de Rezé qui porte au verso de l'image le nom de son architecte : Le Corbusier.
Rien n'est plus simple, sans doute plus juste, pour parler de l'architecture que cette forme d'hommage.






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